1 l’étape du jour
Le passage du col de Montgenèvre est utilisé depuis la nuit des temps pour traverser les Alpes. C’est un des passages les plus faciles à cause de l’altitude mais les gorges de San Gervasio, difficiles à franchir, ont été la cause de la recherche d’une autre voie pour relier France et Italie.
2 le tracé
3 le détail de l'étape
Ce matin, le temps est encore avec nous. Certes les températures seront fraîches à cause de l’altitude et du vent mais le soleil sera éclatant toute la journée. Alors pour la première fois depuis le départ nous abandonnons le short pour un pantalon et les manches longues sont de rigueur avec la polaire... Nous allons sûrement faire toute la montée dans l’ombre.
Du coup, nous ne sommes pas pressés pour partir.
Briançon est encore endormie lors de notre départ, nous ne croisons que de rares personnes. La grande Gargouille ne grouille pas de touristes...
J’en profite pour rajouter les monuments oubliés ou non vus hier.
En commençant par la fontaine des soupirs. Après l'incendie de 1692, cette fontaine du XVIéme siècle fit l'objet d'un conflit entre les consuls de la ville et les propriétaires. Ce procès dura près de cinq ans et au bout du compte, les propriétaires durent reconstruire à leurs frais la fontaine, qui leur coûta si cher, que chaque fois qu'ils passaient devant, ils poussaient de longs "soupirs". On l'appelle aussi fontaine François Ier, qui fut l'un des rares rois de France à être venu à Briançon. C'était en 1537 pendant sa troisième guerre contre Charles Quint. Un après-midi, son fils, le Dauphin, qui l'accompagnait, décida d'aller chasser. Comme il n'était toujours pas rentré à la nuit tombante, le roi de France n’eut de cesse de soupirer pendant la longue attente. Deux bonnes raisons de soupirer !
Le Couvent des Récollets (XVIIIème siècle) est le bâtiment religieux le plus important de la ville. Construit hors des murs en 1702 par la congrégation des moines Récollets, qui étaient à Briançon à partir de 1642, il fut détruit en 1692 par le Maréchal Catinat. Reconstruit en 1729, l'édifice servit d'entrepôt après le départ des religieux à la fin du XVIIIéme siècle, puis l'hôpital militaire jusque là aux cordeliers s'y installa.. Après avoir abrité durant la Révolution de 1789 un magasin à vivre, les Récollets furent réaffectés en 1831 à l'armée et transformés en caserne.
Une fois arrivés aux remparts, nous découvrons le pont d’Asfeld onstruit soixante mètres au-dessus de la Durance est fort gracieux mais il n’a pas été construit par les romains !
En 1720, il est décidé d'occuper les hauteurs surplombant la ville. Le marquis d'Asfeld, qui a succédé à Vauban et Le Peletier comme directeur général des fortifications, décide de faire construire un pont en maçonnerie. La hauteur de la gorge ne permet pas de prévoir une pile pour limiter la portée de l'arc. On choisit donc de franchir la Durance par un pont d'une seule arche. La décision de commencer la construction est prise en 1729. Il a d'abord fallu tailler un chemin « de 112 toises de longueur sur 15 pieds de largeur [223 m x 4,95 m] ayant été aplani, partie en coupant jusqu'à 15 pieds dans le roc » pour accéder au site depuis Briançon.
Il faut imaginer la difficulté de la construction avec les à-pics et le froid. Un échafaudage en bois, avec des cintres, fut construit afin d’installer les voussoirs ( pierres de taille en forme de coin ou de pyramide tronquée formant l'appareillage d'un arc, ou le cintre d'une voûte ou d'une arcade).
Le travail de construction commença du côté de la ville. Six mois furent nécessaires pour fermer la voûte, puis encore une année pour achever l’ouvrage qui fut inauguré en grande pompe en 1731.
Cet ouvrage audacieux est constitué d’une seule arche, en plein cintre, de 38,60 mètres de portée à 55 métres au-dessus du lit moyen de la rivière Durance.
C’est effectivement très haut. Ce pont ne risque pas de souffrir des crues millénales de la Durance !
C’est le vrai départ du GR5 mais après une courte montée se met à descendre. Mais heureusement, cela ne dure pas et l’orientation forte du chemin devient la montée soutenue. Nous grimpons d’un pas alerte d’autant plus que le chemin étant bien balisé, l’usage du GPS est rare.
La montée est parfois rude, de quoi s’arrêter pour souffler quelques secondes. Un autre panneau nous indique l’arrivée à moins de 3 km et déjà une altitude de 1600 mètres, ce qui fait encore une heure d’effort pour arriver au col.
Le GR se transforme en sentier à l’approche de la route.
Il reste encore à franchir la Durance pour rejoindre la route qui monte de Briançon. C’est un autre exercice risqué.
Un pont en bois a été réalisé pour les randonneurs mais un simple gué aurait permis de passer même en cas de crues !
Le Col de Montgenèvre n’a pas la même allure qu’en 333, mais il est agréable de faire la photo souvenir dans cette station de ski qui ressemble à un ville fantôme. Seul col culminant à 1 860 m, entre le massif des Cerces (chaînon du Chaberton) et le massif du Queyras. Il se trouve au centre de la Station de Montgenèvre. Il relie Briançon à Cesana Torinese en Italie mais se trouve entièrement du côté français de la frontière.
Montgenèvre est le Mons Juniper (Mont de genévrier) ou celtique ligure Genev (porte).
Les Celtes l’appelaient Matrona – « la source des déesses-mères », c’est le point culminant du passage, où se trouvait une importante station routière avec mansio, et aussi, d'après la chronique de la Novalaise, un temple dédié à Cacus, jadis vaincu par Hercule avec l’aide de Jupiter, monument d'une remarquable architecture.
Selon Tite-Live, le col de Montgenèvre aurait été traversé par les troupes d'Hannibal durant son passage des Alpes en suivant la future voie des Alpes. Mais la réalité des gorges de San Gervasio me laisse penser qu’il n’est pas passé par ce col.
Dans l'Antiquité, le sommet du col de Montgenèvre marque le point de départ de la Via Domitia, construite à l'initiative du consul Cnaeus Domitius Ahenobarbus dès 121 av. J.-C. et inaugurée 3 ans plus tard, voie qui reliait alors l'Italie à l'Hispanie en passant par le sud de la Gaule fraîchement conquise.
Une branche française de la via Francigena, chemin de pèlerinage vers Rome, passe par ce col et rejoint le chemin principal à Santhià en Italie.
L’obélisque Napoléon est érigé au bout du village, qui fut à la limite de la France et de l'Italie jusqu'en 1947, pour célébrer la fin de la construction de la route de Montgenèvre, élevé à la gloire de Napoléon Bonaparte, l’obélisque fut inauguré le .
Pour mes lecteurs latinistes, voici le texte apposé sur la plaque célébrant l’empereur Napoléon.
Juste avant de passer la frontière, un regard nostalgique en arrière vers Montgenévre et la France. Nous ne saurons pas où est la frontière puisque nous suivons le GR et qu'il n'existe aucun signe.
Nous descendons vers Clavière qui est à 12 km du départ par un beau chemin. Au-dessus de nous se dresse le mont Chaberton qui était devenu italien après le traité d'Utrecht et redevenu français après la deuxième guerre mondiale car les Italiens avaient installé 8 tourelles d'artillerie qui ont tiré sur Briançon.
Pour mes lecteurs latinistes, voici le texte apposé sur la plaque célébrant l’empereur Napoléon.
Juste avant de passer la frontière, un regard nostalgique en arrière vers Montgenévre et la France. Nous ne saurons pas où est la frontière puisque nous suivons le GR et qu'il n'existe aucun signe.
En 1713, le traité d’Utrecht fixe la séparation entre les États du roi de France et ceux du duc de Savoie, « à la ligne de partage des eaux ». Clavière est détachée de la communauté de Val-des-Prés, à laquelle elle appartenait jusque-là, et suit le destin des communauté des escartons d'Oulx, de Val Cluson et de Château-Dauphin qui deviennent piémontaises.
Jusqu’à la fin du XVIIIéme siècle, la route du col demeure un chemin de muletiers. Napoléon fait construire une route plus large, améliorant les communications avec les communes françaises de Montgenèvre et de Briançon, facilitant ainsi le développement commercial du village.
La borne indiquant 2010 km pour Saint-Jacques-de-Compostelle et 914 km pour Roma, célèbre l'entrée dans le Valle di Susa. La traversée de Clavière, bien que localité touristique et station de sports d’hiver du domaine Vialattea, comme Montgenèvre est fort différente, ce n'est pas un village fantôme...
C'est à la sortie du village que le sentier balisé descend en serpentant dans les Gorges de San Gervasio en suivant le lit du torrent la Piccola Dora jusqu’à retrouver la route goudronnée, légèrement en amont de Cesana Torinese.
C'est une belle descente technique sur un sentier bien aménagé.
Nous ne pouvons pas manquer de voir les ponts tibétains de Claviere qui forment le plus long pont suspendu du monde (?) avec 478 mètres de longueur à près de 30 mètres au-dessus du sol. Le parcours commence par un premier pont de 70 mètres qui traverse les Gorges perpendiculairement, puis le pont principal, qui suit le cours de la gorge de San Gervasio à une hauteur de 30 mètres et A la fin du second pont, un chemin mène à le troisième et dernier pont, de 90 mètres de long à 90 mètres haut dessus du sol. Le problème pour nous c'est qu'il est utilisé que dans le sens de la montée!
Une petite video vues des ponts
Les textes romains abordent le franchissement du col avec peu de détails. Certains ajoutent à l’idée de montée la nuance de la difficulté, voire celle de l’escalade. Mais à cette présentation très traditionnelle du passage d’un col, Ammien Marcellin (330-395) ajoute une précision que l’on ne trouve pas dans les auteurs antérieurs, en différenciant les versants, s’appuyant vraisemblablement sur une expérience d’un voyage personnel de la Gaule vers l’Italie. En effet, du côté gaulois de la chaîne, il décrit une pente douce et du côté italien, il insiste sur la raideur de la pente, son caractère escarpé, abrupt (abruptus, rigidus), voire dangereux à la descente. Entre les deux, Ammien décrit une zone plane (planities) au pied du Montgenèvre lui-même qui porte alors le nom de « Sommet de la Matrone » (vertex Matronae).
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Ammien Marcellin ajoute des informations précises inédites, notamment une distinction saisonnière pour les risques encourus par les voyageurs. Evoquant d’abord le dégel printanier, Ammien insiste très concrètement sur les difficultés auxquels sont confrontés les piétons, les chariots, et les bêtes de somme, ce qui, au passage, témoigne de la rupture de charge au franchissement du col. Il décrit un moyen technique d’assurance des chariots à la descente : les animaux et les hommes retiennent avec des cordes le chargement qui risque de glisser : « C’est surtout au printemps, quand la température adoucie détermine le dégel et la fonte des neiges, que sur une chaussée étroite, bordée des deux côtés par des précipices, et coupée de fondrières masquées par une accumulation de frimas, il faut voir chanceler, trébucher piétons, bêtes de charge et voitures. Et le seul remède existant que l’on ait trouvé pour éviter leur perte est celui-ci : la plupart des véhicules sont attachés par de grosses cordes, retenus par derrière par l’effort vigoureux des hommes et des bœufs, et, marchant à peine d’un pas traînant, descendent les pentes avec un peu plus de sécurité ». Par ailleurs, quand elle est tracée à flanc de versant, la voie romaine peut comporter un remblai vers l’aval pour éviter le dévers et les glissades sur la neige en pente, ainsi que le drainage, pour éviter le ruissellement, autre problème propre aux versants. Malheureusement, ce type de trace archéologique a disparu au Montgenèvre et ne peut corroborer le texte d’Ammien Marcellin.
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Ammien Marcellin évoque ensuite le passage en plein hiver : « En hiver, la scène change : le sol, durci et comme poli par la gelée, n’offre partout qu’une surface glissante où l’on peut à peine tenir pied ; et de profonds abîmes, auxquels une croûte de glace donne l’apparence perfide de la plaine, engloutirent plus d’une fois les imprudents qui osèrent s’y risquer. C’est pour cette raison que les gens qui connaissent bien le pays enfoncent aux endroits les plus sûrs des pieux de bois dressés, afin que leur ligne continue guide le voyageur sans dommage. Si ces pieux disparaissent sous les neiges ou s’ils sont renversés par les ruisseaux qui coulent de la montagne, il est difficile de passer par les sentiers, même avec des indigènes pour vous montrer le chemin ».
Le panneau de la communauté de communes de la haute vallée de Suse, avec son éléphant et le blason de Savoie est fort visible. Quand on voit les gorges de San Gervasio, on est certain que les éléphants d'Hannibal n'y sont pas passés. Par contre, nous retrouvons le petit pèlerin jaune avec la flèche blanche qui indique Rome. Nous l'avions découvert sur la Via Francigena dès le val d'Aoste. Le suivre en s'écartant du GR c'est le gage du meilleur chemin !
Une fois proche de la Piccola Dora, le sentier traverse pour rester en rive droite.
Ce sentier passe en léger surplomb accrocyà la falaise. C'est une zone d'escalade avec des départs marqués de la difficulté de chaque voie.
Nous retrouvons la route de Briançon à Suse. Ce qui nous permet de descendre les derniers kilomètres à une vitesse moyenne de 6 km/h avec des pointes à 7,5 km/h. Nous voyons en contrebas le village de Cesana Torinese et au-dessus une étrange construction que j'ai pris pour un circuit automobile de montagne. Christine de son œil expert m'a dit : - Non, c'est une piste de Bobsleigh ! Je lui doit un Spritz...
C'est la piste de Cesana Pariol Construite pour accueillir les compétitions de bobsleigh, luge et skeleton lors des JO de 2006. Un site archéologique du temps des Romains (près du virage 11) y a été découvert.
Nous freinons brutalement pour prendre le carrefour vers l'accès direct au village. La route est en plus fermée à tous les véhicules pour cause de réfection. Nous ne regardons même pas le GPS puisque le pelerin jaune indique la voie à suivre !
Cesana Torinese est la mutatio Gesdaone (Gaesao pour d'autres) citée par l'anonyme de Bordeaux, sur la voie romaine allant de la plaine du Pô à ce qui était alors la Gaule. On n'y changeait pas de chevaux, mais les voyageurs et leurs marchandises passaient du mulet au cheval dans le sens de la descente et inversement.
Durant le haut Moyen Âge, cette voie perdit de son importance pour le commerce mais la conserva au niveau de l'utilisation militaire. Le village fut propriété des dauphins de Viennois, d'ancienne et prestigieuse noblesse du Dauphiné, jusqu'à la fin du XIVème siècle lorsqu'ils vendirent l'ensemble de leurs domaines à Philippe VI de France à la condition que l'héritier de la couronne de France soit appelé le dauphin.
Durant le haut Moyen Âge, cette voie perdit de son importance pour le commerce mais la conserva au niveau de l'utilisation militaire. Le village fut propriété des dauphins de Viennois, d'ancienne et prestigieuse noblesse du Dauphiné, jusqu'à la fin du XIVème siècle lorsqu'ils vendirent l'ensemble de leurs domaines à Philippe VI de France à la condition que l'héritier de la couronne de France soit appelé le dauphin.
Le nom du peintre Paul Cézanne vient de Cesana. Sa famille est originaire du Piémont vers 1650 et étaient des artisans chapeliers. Son père exerçait ce même métier à Aix-en-Provence, spécialisé dans les feutres. Paul Cézanne a séjourné une courte période dans cette commune de montagne.
Toujours est-il que nous célébrons cette belle étape par un dîner italien qui commence bien sûr par des pâtes!
Demain nous dépasserons Oulx pour équilibrer l'étape suivante qui nous amènera à Suse.
4 logistique
Hébergement
Cesana Torinese
Hôtel Chaberton
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